Logistrux
« Vas-tu jamais aller au lit, chéri ? »
David ne prit pas la peine de se retourner. « Je travaille, Liz.
— Tu travailles toujours, Elizabeth pleurnicha. Tu peux pas arrêter seulement pour une nuit ?
— Non.
— Attends, t'es pas fatigué ?
— Oui, je me fatigue parce que tu me harcèles. Laisse-moi tranquille.
— Mais tu vas jamais au lit.
— Je vais au lit chaque nuit, dit David. Tu le remarques pas parce que tu t'es déjà endormie. »
Elizabeth se tut. Elle regarda autour de la chambre en silence, ses yeux parcourant les ordinateurs, les tas de papier infinis, les claviers qui ne marchaient plus et hébergeaient assez de poussière pour en fabriquer un gilet. Le plancher était caché dessous toutes les choses de travail et la poussière. La poubelle n'avait pas été vidée depuis plus d'un mois, et une rivière de déchets coulait de l'ouverture, déposant partout des mouchoirs sales, des vieux peaux de bananes, et diverses choses décomposées dont elle n'osait pas deviner la nature. Le bureau sentait le pourri. Comment diable pouvait David travailler dans de telles conditions ?
« Qu'est-ce que tu fais à Logistrux, exactement ? demanda Elizabeth. Je te vois travailler tout le temps, mais j'ai aucune idée de ce que c'est.
— C'est... c'est compliqué. Tu comprendrais pas.
— Essayes quand même. Ça peut pas me tuer. »
David soupira. La vérité, c'était qu'il n'avait presque aucune idée non plus. Il assistait à des rendez-vous où on avait des discussions à l'air important, et il aidait à fabriquer des produits, mais on ne l'avait jamais dit de quoi s'agissaient ces « produits ».
« Retourne au lit. Je suis occupé.
— D'accord. » Elle sortit de la chambre et ne dit rien de plus. Cette conversation n'allait nulle part.
Quand il eut commencé à travailler pour Logistrux, il venait au bureau tous les jours sauf les fins de semaine. Il ne travaillait pas de chez lui. C'était un emploi facile à ce temps-là. Il n'avait qu'à rester assis à un bureau de neuf heures du matin à dix-sept heures du soir et peigner la girafe.
Après un mois ils l'eurent encouragé de travailler de la maison. Il ne savait pas ce qu'il ferait dans ce cas, mais il accepta. N'avoir rien à faire tout le jour l'ennuyait. Il passait le temps en jouant des jeux sur son téléphone stupide. Il aimait particulièrement un en lequel on lançait des oeufs vers des maisons et on recevait des points pour chaque oeuf qui s'écrasait contre un d'eux. Un mur valait un point, une fenêtre valait deux.
Le bâtiment de Logistrux ne lui manquait pas. Il était haut et beige, et les murs de brique étaient craqués et sales. Des plantes poussaient dans les fissures. Les fenêtres étaient teintées de brun. Dans le foyer il y avaient des plantes mortes.